BLADE THE CRAZY – NYC GRAFFITI ART

31 mars — 24 avril 2010

Blade
Helenbeck Gallery
6 rue Defly Nice, France 06000


Blade is here. But where? Blade est ici. Mais où? La question de l’identité se pose aussi en termes spatiaux. Il y a un moment que décrit l’anthropologue américain Carlos Castaneda où le sorcier demande à l’élève de trouver le lieu qu’il lui faut, « la place où un homme se sent naturellement heureux et fort ».

Au XXe siècle, la question du lieu de l’art devient une question essentielle. Les artistes passent en grand nombre de la galerie à la rue, de l’atelier à l’espace public. C’est « l’art en contexte » tel que décrit par Paul Ardenne dans Un art contextuel. Les exemples abondent, qui illustrent la phrase de Rober Filliou : « L’art, c’est d’abord où tu es et ce que tu fais ». Autrement dit : « 1- j’existe », « 2- C’est ici que j’existe ». Début des années soixante-dix, c’est la naissance à New York du mouvement graffiti. Le théoricien Frank Popper voit dans le geste du graffeur une des meilleures preuves du désir d’affirmer une présence « sans justification esthétique préalable ». Paul Ardenne : « « bomber » à la peinture, à la hâte, en un geste de conquête et de recouvrement des surfaces urbaines, son pseudonyme, signe de reconnaissance et nom tribal à la fois : qu’il soit de nature narcissique ou qu’il émane du désir d’une expression directe et démocratique, ce geste renforce la thèse de l’art comme affaire d’existence, contrairement à celles de l’art comme discours construit ou comme simple offrande de formes plastiques. Dans le cas du tag,  l’implication individuelle s’avère nécessaire, urgente et spectaculaire. »

Steven Ogburn, alias Blade, est parmi les premiers. Né dans le Bronx en 1957, on dit qu’il régna pendant des années sur les lignes 2 et 5 du métro avec le groupe des Crazy Five (TC5), recouvrant obstinément sans jamais cesser de se renouveler des trains entiers de ses blockbusters géants aux calligraphies si reconnaissables, toutes en lettres allongées. On dit aussi que ce spécialiste du « bubble », du « nuage » et des effets géométriques fut le premier à introduire dans son écriture « top to bottom » les contours 3D.

« Même quand il dort, son nom voyage sans cesse. Vingt-quatre heures par jour. A une vitesse qui varie entre 40 et 60 miles à l’heure », écrit le critique néerlandais Roger Ormeling qui note par ailleurs combien pour le graffeur « anonymat et culte de la gloire vont de pair », et que s’il y a lutte contre les vigiles du MTA (Metropolitan Transport Authority) et rivalité entre graffeurs, une autre bataille se livre chaque nuit : celle qu’implique le désir forcené, la nécessité d’exister « contre tous les noms qui occupent la scène publique : Mac Donald, Marlboro, Kentucky Fried Chicken, Wal Mart, Macy’s, Andy Warhol, etc. » dans « l’atelier sans murs » des galeries et des dépôts.

L’enjeu est en effet bien là, à la fois existentiel, artistique et politique : « faire constater, par le public, l’existence d’une identité ». Volonté qui s’accompagne d’une ambiguïté de nature romantique : à la fois, affirmer son Moi, et se dissoudre dans le monde. Roger Ormeling, toujours lui (sur bladekingofgraf.com), remarque que Blade descend dans l’obscurité du monde souterrain comme un héro mythologique. Quelques années plus tard, l’œuvre d’art commencera à circuler sur un autre réseau, celui du Web.

Il y a là aussi de la démiurgie. Peut-on avancer que Michel-Ange peignit le plafond de la chapelle Sixtine pour occuper la voûte céleste ? L’art d’intervention de Blade se propose lui de « s’emparer du monde réel, d’occuper l’espace dans son entier, sans restriction ». C’est parfois par d’autres moyens picturaux que celui de son nom. Mais c’est toujours dans une double tradition : celle inaugurée par l’auteur du fameux « Kilroy was here » et celle d’un classicisme dont il est désormais partie intégrante.

Martin T.